Une acquisition royale pour le MBAM
Le Musée des beaux-arts de Montréal vient d’acquérir un tableau remarquable, le modello, ou modèle achevé, du célébrissime Portrait de Louis XIV en habit royal par Hyacinthe Rigaud (Musée du Louvre, Paris).
Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du musée raconte : « Nous sommes heureux d’avoir pu saisir sur le marché de l’art cette icône de la peinture, le modello d’un des portraits les plus fameux de l’histoire de l’art occidental. Souvent répliqué et même pastiché, il est à l’origine d’une riche lignée iconographique du portrait type du souverain. Ce tableau s’intègre avec pertinence dans notre collection en art international historique, car Louis XIV a permis à la Nouvelle France de passer véritablement du stade de comptoir commercial au stade de colonie de peuplement. »
L’œuvre est installée au 2e niveau du nouveau Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, dans les galeries des écoles française, italienne et anglaise des XVIIe et XVIIIe siècles.
Le modello du portrait du Roi-Soleil
En novembre 1700, la nomination du duc d’Anjou (1683-1746) au trône d’Espagne, sous le nom de Philippe V, fait l'affaire de la France, en cette fin de règne de Louis XIV, son grand-père. Proclamé roi, le jeune Philippe V part pour Madrid le 4 décembre 1700. Louis XIV émet alors le désir de faire réaliser le portrait de son petit-fils. À cette attention, Philippe V répond par le souhait de commander dans le même temps, au même artiste, le portrait de Louis XIV pour l’emporter en Espagne. Trop réussi sans doute, le portrait de Louis XIV restera finalement à la cour de Versailles. Ce tableau est le modello de ce portrait du Roi-Soleil.
Le principe du modello est de proposer au commanditaire – l’administration des Bâtiments du roi et le souverain lui-même – une esquisse aboutie présentant dans le détail, mais en format réduit, la manière dont la toile finale sera composée et exécutée. Pour un portrait officiel, dont l’iconographie devait être précise et clairement définie afin d’être politiquement efficace, la réalisation préalable d’un modello est fondamentale. Certaines divergences par rapport à la version finale induisent à penser que la toile ne peut être une copie postérieure mais, selon toute vraisemblance, antérieure.
« Nous nous interrogions dans notre ouvrage (Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Dijon, Editions Faton, 2016, tome II : Le catalogue raisonné, p. 254) sur le véritable statut qu'il convenait de donner à la petite toile passée en vente chez Leclère à l'hôtel Drouot, à Paris, le 18 avril 2016. Invitée par Eric Coatalem à l'examiner de nouveau après sa restauration, ce qui n'était jusqu'à présent qu'une hypothèse se trouve désormais confirmé : cette petite toile est bien, selon nous, le modello commandé à Rigaud en amont de l'exécution de son portrait de Louis XIV en grand costume royal qui s'est imposé, avec le temps, comme l'icône royale par excellence de l'Ancien Régime. »
Une fascinante iconographie du pouvoir
Louis XIV se tient debout devant un trône avec l’air calme, fier et légèrement dédaigneux du souverain autoritaire. La pose est pleine de sens dans le contexte de la représentation d’un monarque absolu français. Dans la France catholique de l’Ancien Régime, le corps du roi est sacré dès que le couronnement a eu lieu, à la mort du prédécesseur. Rigaud doit mettre en valeur dans son portrait. Louis XIV est le roi, le corps intouchable et supérieur appelé à régner sur le premier pays d’Europe et ses territoires. La majesté de la pose, la richesse des décors et des habits s’en font l’écho.
Si la splendeur aide à manifester l’autorité politique du modèle, comment évoquer cette sacralité corporelle, ce principe religieux qui se place à l’origine même de la légitimité de l’héritier des Capétiens? Rigaud a ici l’idée brillante de reprendre un détail du Charles Ier de Van Dyck pour lui conférer une signification différente: la main droite est représentée nue, libérée du gant de soie que le roi tient serré dans son autre main, posée non pas sur une canne ordinaire, mais sur le sceptre royal, tête en bas, manipulé avec une évidente désinvolture.
Debout, le roi s’oppose aux traditions de représentation. Par la présence d’un riche fauteuil en bois doré, le trône est évoqué, non pas comme objet de prestige pour la monarchie, mais comme un artifice secondaire : le roi n’a pas besoin d’y siéger pour être souverain. Levé de son siège, le roi esquisse une marche lente et digne, confirmé par le point d’appui sur le sceptre. Il suit la direction indiquée par la main de justice, autre bâton de cérémonie qui, parmi les regalia du sacre, symbolise la bénédiction sur le souverain : Louis XIV s’avance dans la direction indiquée par Dieu.
Biographie du peintre des rois, Hyacinthe Rigaud (1659-1743)
Né à Perpignan en 1659, le catalan Hiacinto Rigau se forme à Montpellier avant de partir pour Paris en 1681. Désireux de se faire un nom dans le paysage artistique de la capitale, il francise son patronyme en y ajoutant un « d » final. À Paris, Rigaud achève son apprentissage sous la protection de Charles Le Brun, alors tout-puissant directeur de l’Académie Royale. Lorsqu’il remporte le prestigieux Prix de Rome en 1682, son mentor l’encourage à s’établir directement comme portraitiste, domaine plus lucratif que la peinture d’histoire.
S’il trouve d’abord sa clientèle parmi les bourgeois parisiens, Rigaud se fait remarquer par la Cour en 1688, obtenant notamment des commandes de membres de la famille royale. La réalisation du portrait du roi en 1701 est à ce titre l’aboutissement d’une faveur princière établie depuis déjà longtemps. La réputation de l’artiste atteint dès lors des sommets sous Louis XV.
Le modello que vient d’acquérir le MBAM est sans conteste le plus beau et le plus prestigieux des portraits de Louis XIV conservés au Canada. Une seule autre peinture de Louis XIV, attribuée à l’atelier de Hyacinthe Rigaud, fait partie de la collection du Sénat du Canada. Les œuvres de Rigaud sont extrêmement rares dans les collections publiques : un portrait de famille est conservé au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.