À la (re)découverte d’Albert Dumouchel
Albert Dumouchel (1916-1971), Le profil d’Anna, 1969, gravure sur bois de fil, épreuve d’artiste, V/V, 63 x 100,5 cm (feuille), 60,7 x 91,6 cm (image). MBAM, don de Madeleine Morin. Photo MBAM, Annie Fafard
Du 1er décembre 2022 au 26 mars 2023, l’exposition Révélations : les estampes d’Albert Dumouchel dans la collection du MBAM invite le public à découvrir la production artistique d’un graveur québécois parmi les plus influents de sa génération.
Albert Dumouchel est considéré comme le père de la gravure moderne au Québec. À la fois enseignant et artiste, il est devenu un maître de cette discipline et le graveur le plus influent au pays dans les années 1950. Pourtant, ses œuvres demeurent méconnues aujourd’hui. Révélations montre l’extraordinaire diversité des estampes de Dumouchel – à l’eau-forte, en taille directe ou sur pierre, entre autres techniques – qui figurent dans notre collection. Le MBAM a commencé à acquérir ses œuvres en 1955, et le don récent d’une collection montréalaise vient encore enrichir la nôtre, désormais représentative des vingt-cinq années d’activité artistique de Dumouchel.
Quelque 35 estampes sont présentées dans l’exposition, qui met en lumière non seulement le travail le plus abouti de l’artiste, mais aussi son parcours spectaculaire, d’autodidacte à chef de file de la gravure moderne au Québec. L’étonnante variété iconographique de sa production, du début des années 1940 aux années 1960, témoigne de son ouverture à un milieu culturel en perpétuelle mutation. Dans cette perspective, l’une des particularités de son œuvre est de nous offrir un condensé imagé de l’histoire québécoise, de la Grande Noirceur à la Révolution tranquille.
L’exposition s’ouvre sur des estampes réalisées par l’artiste dès 1942, alors qu’il travaillait pour la Montreal Cotton, une usine textile située à Salaberry-de-Valleyfield, son lieu de naissance. À ses débuts, Dumouchel, qui avait quitté l’école tôt et ne possédait aucune formation artistique reconnue, a été influencé par des gens de son entourage plutôt que par des établissements. James Lowe, un collègue du service de la sérigraphie à la Montreal Cotton formé comme graveur à Londres, a probablement été le plus important. Il ne s’est pas contenté d’initier Dumouchel à diverses techniques, mais a également mis une presse à imprimer à sa disposition à l’usine. Les estampes de cette époque illustrent des thèmes religieux et des paysages qui reflètent son environnement physique et social.
En 1941, Dumouchel rencontre Suzanne Beaudoin, qui allait jouer un rôle aussi déterminant, quoique différent, dans sa vie. Étudiante à l’École des beaux-arts de Montréal, elle introduit l’artiste auprès de l’avant-garde montréalaise, notamment Jacques de Tonnancour et Alfred Pellan. Son père fonde l’École des arts graphiques en 1942, et Dumouchel y donne des cours dès la première année, entamant ainsi une carrière de pédagogue extrêmement féconde. Quatre ans plus tard, Beaudoin et Dumouchel (qui se sont mariés en 1943) s’établissent à Montréal. Pendant cette période d’après-guerre, l’artiste produit avec enthousiasme, en collaboration avec Arthur Gladu, deux numéros de la revue Les ateliers d’arts graphiques, publication aussi marquante qu’éphémère réunissant des travaux littéraires, artistiques et universitaires dans le but de promouvoir les arts graphiques au Québec. Signataire du manifeste Prisme d’yeux en 1948, il tisse des liens solides avec des artistes montréalais qui ont une conception élargie de la peinture
d’avant-garde.
Des années 1950 au début des années 1960, l’influence de grands artistes comme Jean Dubuffet et Paul Klee se fait sentir dans les compositions plus abstraites de Dumouchel. Toutefois, des œuvres de cette période présentées dans l’exposition révèlent un artiste qui, en pleine maîtrise des techniques de la gravure, cultive un style qui lui est propre. Lors de son deuxième voyage en Europe, en 1955, il poursuit son apprentissage de la lithographie auprès d’Edmond Desjobert et de la gravure à l’eau-forte à l’atelier Leblanc, à Paris.
Les œuvres ultérieures démontrent que Dumouchel, par une exploration continue, cherchait à repousser les limites de l’eau-forte. Ces expérimentations ont donné lieu à des monochromes raffinés, auxquels la texture et la variation de densité de l’encre confèrent un caractère poétique subtil et tout à fait unique. L’exposition comprend une vitrine où l’on peut constater, sur les états successifs d’une même épreuve, l’expressivité profonde des nuances de texture et de saturation.
Le caractère protéiforme du travail de Dumouchel se manifeste surtout lorsqu’il revisite des sujets figuratifs au cours des années 1960 : des scènes folkloriques inspirées de la société québécoise contrastent avec des images nettes et audacieuses évoquant le pop art. Il puise dans l’esthétique de ce mouvement pour réaliser une série de xylographies faisant référence à l’imagerie érotique alors en vogue. Il s’agit d’œuvres créées vers la fin des années 1960, alors que l’artiste passait le plus clair de son temps à Saint-Antoine-sur-Richelieu.
Son désir de retourner à la campagne de sa jeunesse l’amène à s’intéresser à la gravure sur bois, technique archaïque faisant contrepoids à la mécanisation de la vie moderne1. Sa carrière d’enseignant touche alors à sa fin, mais elle laissera une empreinte durable. Tout au long des années 1960, il sera par ailleurs responsable de l’atelier d’impression de l’École des beaux-arts. Dumouchel n’a jamais imposé de sujets à ses élèves, il cherchait plutôt à leur transmettre sa connaissance approfondie de la technique. Professeur enthousiaste et généreux, il a inspiré une nouvelle génération de graveuses et de graveurs – une dimension importante de son héritage.
L’un des points forts de l’exposition est une vidéo montrant la technique de Dumouchel en taille-douce. Elle permettra au public d’apprécier à sa juste valeur tout le savoir-faire qui sous-tend son travail. Deux des matrices (ou plaques de métal) créées par l’artiste pour ses gravures sont également présentées. Les procédés techniques qu’il employait seront explorés en détail dans une exposition sœur intitulée Dumouchel impérissable. Matrices et estampes, qui se tiendra au Centre de design de l’UQAM au printemps 2023. Au même moment, ses archives feront l’objet d’une autre exposition, Dumouchel impérissable. Archives et artéfacts, au Centre des livres rares et collections spéciales de l’UQAM.
1 Anne-Marie Malavoy, citée dans Jaques Dumouchel, Albert Dumouchel, maître graveur, La Prairie, Québec, Éditions Marcel Broquet, 1988, p. 194.
L’auteure tient à remercier Peggy Davis pour sa collaboration. Les échanges fructueux qu’elle a entretenus avec elle ont été d’une aide précieuse lors de la rédaction de cet article. Elle exprime également sa gratitude à Ginette Deslauriers, à Nicole Milette et à Madeleine Morin.
Révélations : les estampes d’Albert Dumouchel dans la collection du MBAM 1er décembre 2022 – 26 mars 2023
Crédits et commissariat Une exposition organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal. Le commissariat est assuré par Peggy Davis, professeure d’histoire de l’art à l’UQAM et commissaire invitée, et Anne Grace, conservatrice de l’art moderne, MBAM.
Le Musée tient à souligner l’apport de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, ainsi que celui de son partenaire média, La Presse. Révélations a été réalisée en partie grâce au soutien financier du gouvernement du Québec, du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de Montréal.