Une impressionnante collection de bijoux contemporains
Donald Friedlich (né en 1954), broche, de la série « Lumina », 2019, verre borosilicaté, verre dichroïque. 6,4 x 6,4 x 2,4 cm. MBAM, don de Noel Guyomarc’h et Stéphane Blackburn. Photo MBAM, Jean-François Brière
Acquis récemment grâce à la générosité de Noel Guyomarc’h et de Stéphane Blackburn, un ensemble de 33 pièces de joaillerie contemporaine canadienne et internationale constitue un ajout exceptionnel à la collection d’arts décoratifs et de design du MBAM.
De tout temps, les bijoux ont servi tantôt de monnaie d’échange, tantôt d’indicateur de situation personnelle ou de symbole d’appartenance sociale ou religieuse. Petit à petit, la fabrication de bijoux s’est transformée en art raffiné, caractérisé principalement par l’utilisation de pierres rares et de métaux précieux. Bien que cette définition s’applique encore aujourd’hui à une bonne partie de cette forme d’art, il existe également une branche de création en atelier appelée joaillerie contemporaine qui tient sa valeur, non pas des matériaux employés, mais de l’exploration de nouvelles idées, de récits personnels et de commentaires sociaux.
Depuis vingt ans, les technologies innovantes, de même que l’incorporation de matériaux non traditionnels comme le plastique, la céramique, l’acier, le bois, le tissu et les objets trouvés, ont une influence croissante sur la joaillerie. De nature souvent conceptuelle, mais parfois aussi humoristique ou audacieuse, les créations dans ce domaine – désormais considéré comme un mode d’expression esthétique au même titre que la peinture ou la sculpture – brouillent les frontières entre l’art, l’artisanat et le design. La collection Guyomarc’h-Blackburn réunit des œuvres d’artistes mondialement reconnus et reflète des thèmes et préoccupations d’actualité. Nous vous proposons de découvrir ici quatre pièces étonnantes qui en sont issues.
Donald Friedlich, broche de la série Lumina (2019)
Faite en verre borosilicaté et en verre dichroïque, cette broche illustre bien la fascination contemporaine pour les propriétés interactives et optiques de la joaillerie. Elle n’est pas sans rappeler la peinture de Mark Rothko et les sculptures lumineuses de Dan Flavin et de James Turrell. Dans son travail, Friedlich s’intéresse à l’aspect qu’ont les bijoux en mouvement, lorsqu’ils sont portés. Cette broche change de couleur du tout au tout en fonction de l’angle sous lequel on la regarde et des mouvements de la personne qui la porte. Sous un certain angle, elle ressemble à un tube néon illuminé de l’intérieur, saturé de couleur et de lumière; sous un autre, les couleurs paraissent pâles et diaphanes. Peu de joaillières et de joailliers explorent de manière aussi approfondie les propriétés optiques changeantes du verre.
Märta Mattsson, broche Diego (2018)
La critique de la notion de préciosité en bijouterie traditionnelle a poussé de nombreux artistes à varier les matériaux qu’ils employaient dans leur pratique. Cette broche de la joaillière suédoise Märta Mattsson est faite à partir d’un scarabée préservé par électroformage qui a ensuite été enduit de résine et orné de fleurs artificielles. Inspirée par les créatures hybrides fantastiques du folklore européen, Diego suscite une réflexion sur les notions de décomposition et de renaissance, d’attraction et de répulsion. Dans leur étrange familiarité, les créatures de Mattsson évoquent les spécimens qu’on trouvait sur les étagères des cabinets de curiosités du XVIIIe siècle.
Carina Shoshtary, broche Népenthès (2021)
D’abord formée en orfèvrerie traditionnelle, la joaillière irano-allemande Carina Shoshtary se décrit comme une chasseuse-cueilleuse des temps modernes, car un grand nombre de ses œuvres incorporent des matériaux trouvés ou recyclés. La broche Népenthès est faite en bioplastique à base d’amidon de maïs et de riz, polymère qui lui permet de créer des formes complexes proches de la nature. En plus d’employer des matériaux nouveaux, Shoshtary a recours à des technologies de pointe dans son processus de création. Elle utilise notamment un stylo 3D pour tracer les contours spontanés et fluides de ses pièces aux formes organiques inspirées par l’Art nouveau.
Aurélie Guillaume, broche Nous finissons tous au fond de la mer (2018)
Les joaillières et joailliers contemporains se servent souvent de leur art pour livrer des récits personnels ou exprimer leur identité et leur culture. L’artiste montréalaise Aurélie Guillaume, elle, puise son inspiration dans la longue histoire de l’émail et son lien étroit avec la narrativité. Dans cette broche, réalisée selon la technique du cloisonné, les personnages insolites, qui sont basés sur les expériences et les émotions de l’artiste, servent de points d’entrée à un monde fantastique, onirique. « [Mes] illustrations reposent sur des hyperboles qui exagèrent la nature farfelue, grotesque, voire macabre, du monde qui m’entoure. Je crois à l’humour dans la tragédie, tout comme je crois qu’on peut trouver de la beauté dans la laideur1 », explique-t-elle. Inspirés par l’art urbain, la bande dessinée, le pop art et la contre-culture, les émaux élaborés de Guillaume marient expérience personnelle et culture populaire dans une forme d’art traditionnellement plus classique.
La collection Guyomarc’h-Blackburn, qui a été assemblée au cours des dix dernières années, nous invite à parcourir l’histoire de la joaillerie indépendante du XXIe siècle. Malgré leur taille modeste, les pièces remarquables qu’elle renferme dénotent une ambitieuse volonté d’appréhender notre monde en mutation. Ensemble, elles illustrent avec éloquence la complexité et la diversité des récits portés par la joaillerie contemporaine et témoignent de la multitude de possibilités qu’offre ce mode d’expression. L’essence de cette collection éclectique réside dans l’originalité et la hardiesse de ses pièces, ainsi que dans le désir manifeste de leurs créatrices et créateurs de bousculer les catégories traditionnelles de l’histoire de l’art.