Dempsey Bob : une histoire de loup
Dempsey Bob (né en 1948), Coiffure de chef : loup, vers 1993, cèdre rouge, peinture acrylique, opercule, crin de cheval, cuir, hermine. Collection Eric Savics. © Dempsey Bob. Photo Rachel Topham
L’exposition Le clan du loup : l’art de Dempsey Bob, à l’affiche du 18 mai au 10 septembre 2023, retrace la carrière du maître sculpteur depuis les années 1970 jusqu’à nos jours. Première rétrospective majeure de son travail, elle présente notamment des masques, des sculptures murales, des récipients, ainsi que des tenues et objets cérémoniels qui témoignent du style raffiné et du remarquable talent de conteur de l’artiste.
La culture, pour nous, c’est le « ciment spirituel » de la société. C’est la culture qui nous transmet des valeurs et des croyances, qui donne un but et un sens à notre existence. Et la création artistique fait partie de nous… de notre identité. Ça se voit dans nos couvertures, nos boîtes, nos masques et nos bracelets. C’est ce que nous sommes.
– Dempsey Bob
Lauréat d’un Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2021 et nommé officier de l’Ordre du Canada en 2013, Dempsey Bob est connu au Canada et à l’international comme l’un des sculpteurs les plus accomplis de la Colombie-Britannique. Ses mâts totémiques ont été érigés en Angleterre, aux États-Unis et au Japon, tandis que ses sculptures et ses masques font partie de collections muséales aux quatre coins du monde.
Descendant des peuples tahltan et tlingit, Dempsey Bob appartient au clan du loup par filiation matrilinéaire. Il est né à Telegraph Creek, au nord de la Colombie-Britannique, et a grandi dans le milieu de la conserverie à Port Edward, au nord-ouest de la province, où sa famille a déménagé pour échapper au système d’éducation des pensionnats. Dès l’enfance, l’artiste a baigné dans les traditions et les récits, ce qui a favorisé la création d’un lien très fort avec ses ancêtres. Ces éléments spirituels et culturels lui ont été transmis par sa famille et les aînés, mais surtout par sa mère. Ce sont leurs enseignements et leurs récits qui l’ont fermement ancré dans le système de croyances de son peuple.
Dempsey Bob a commencé à étudier l’art en 1969 à la Friendship House de Prince Rupert auprès de la célèbre artiste haïda Freda Diesing, qui, par son travail et son enseignement, a donné un second souffle aux pratiques continentales de la sculpture en Colombie-Britannique. En 1972, puis en 1974, il a poursuivi ses études à la Gitanmaax School of Art, à Hazelton. Tout au long de sa carrière, il a effectué de nombreux voyages qui ont contribué à parfaire son éducation. C’est ainsi qu’il a étudié les mâts totémiques en Alaska et qu’il s’est familiarisé avec l’art occidental et la fonte du bronze en Italie. Il a aussi séjourné dans d’autres pays d’Europe, au Japon, en Russie, à Hawaï, et plusieurs fois en Nouvelle-Zélande. C’est là qu’il est allé à la rencontre de peuples autochtones qui, comme le sien, possèdent une culture de la mer et de la pirogue – des gens de la maison longue, des artistes, des sculpteurs et sculptrices sur bois, des tisseurs et tisseuses. Sur le plan des traditions et de la vision du monde, Dempsey Bob se sent très proche des Māori, qu’il considère comme ses frères et sœurs.
Fusionnant style classique de la côte Nord-Ouest et variations contemporaines, le savoir-faire formel et technique de l’artiste est sans égal. Sa technique est si parfaite que le bois paraît malléable et les sculptures semblent briller de vitalité avec leurs surfaces polies et leur imagerie frappante. De plus, les lignes observées dans ses œuvres – y compris dans les tissus cousus par sa sœur, Linda Bob – sont d’une fluidité et d’une précision exemplaires attribuables à sa pratique assidue du dessin.
Le travail de Dempsey Bob a connu une profonde évolution en 2008 avec la réalisation d’une première œuvre asymétrique qui a donné lieu à l’expérimentation de compositions plus complexes, caractérisées par des formes tordues et des figures orientées dans plusieurs directions. L’artiste, qui appelle ces constructions « sculptures murales », a fait preuve d’innovation en délaissant la frontalité et la symétrie typiques des masques de la côte Nord-Ouest. L’ajout de divers angles et points de vue confère à ses animaux et personnages un caractère dynamique, malgré leur apparence figée, comme si on les surprenait en pleine transformation.
Dempsey Bob vit aujourd’hui à Terrace, en Colombie-Britannique, au cœur d’un paysage majestueux qui l’inspire et le nourrit tout à la fois. Son attachement à la nature et à la terre imprègne son être et guide ses réflexions, ses actions et, enfin, son art. En observant les animaux dans leur habitat naturel, il arrive à reproduire leurs traits avec exactitude. Mais ce qui rend son travail si unique, c’est le caractère, l’esprit et l’essence qu’il insuffle à ses figurations de corbeau, d’ours, d’aigle, de grenouille, de loup ou de tout autre animal. Qu’elles consistent en une forme simple ou en un amalgame de diverses espèces, y compris humaine, toutes les créations de Dempsey Bob incarnent sa culture et racontent les histoires de ses ancêtres.
Toucher un vieil arbre, pour nous, c’est comme aller à l’église1.
Lorsqu’il touche au bois, le sculpteur entre en relation avec l’esprit qui y réside. Il respecte le matériau, dont il laisse les caractéristiques – courbures, nœuds, grain, etc. – guider ses gestes pendant la taille. Par cette délicate attention, il ne fait pas qu’ajouter à la beauté de ses créations : il ravive le bois, restaure sa force expressive et lui donne une seconde vie. Tout comme les Tlingit et d’autres peuples autochtones, Dempsey Bob, à l’occasion, incorpore divers matériaux naturels dans ses œuvres, par exemple de la fourrure, de la nacre ou des moustaches de lion de mer. L’utilisation de ces matériaux témoigne d’un lien vital avec l’environnement.
Néanmoins, Dempsey Bob est troublé de constater les changements qui s’opèrent dans la nature autour de lui et le déclin, depuis son enfance, de l’attachement des gens aux traditions. Ces préoccupations l’ont poussé à intensifier sa production artistique autour du thème des espèces touchées par la crise environnementale, comme le saumon et la grenouille. Dans ses observations sur le passage « des chiens d’attelage aux téléphones cellulaires2 », il souligne que, dans notre société hautement technologique, l’esprit s’égare alors que notre lien avec la terre et notre héritage se détériore.
L’artiste déplore aussi la perte de la culture matérielle comme conséquence de la colonisation. Chaque fois qu’il voit des mâts totémiques et des masques tlingit ou d’autres œuvres autochtones dans des musées de par le monde, il repense aux actes abominables qui ont été perpétrés contre les Premiers Peuples, y compris le sien. La présence inappropriée d’œuvres associées au chaman, qui gisent dépouillées de leur force vitale sacrée, le dérange également. Aussi sa première visite de l’American Museum of Natural History, à New York, l’a-t-elle confronté à une réalité accablante : « J’ai pris conscience de ce qui nous a été enlevé, de ce qu’on nous a fait. Ces œuvres m’appelaient. Elles voulaient rentrer chez elles. Elles n’avaient pas entendu nos chants depuis plus de cent ans3. » Sensible à cette injustice, Dempsey Bob s’est lancé dans une abondante production qui se veut une forme de restitution : présenter un nouveau corpus d’œuvres lui permet en quelque sorte de perpétuer une culture et des traditions qui ont failli disparaître.
En parallèle de sa pratique artistique remarquable, Dempsey Bob est l’un des pédagogues les plus influents de son temps, donnant des conférences, des ateliers et des cours partout dans le monde. Il a aussi cofondé la Freda Diesing School of Northwest Coast Art à Terrace, en Colombie-Britannique, où, avec ses pairs, il inculque aux élèves l’importance de la terre et de la culture pour assurer aux prochaines générations de son peuple un avenir viable.
1 Dempsey Bob a fait cette remarque en parlant des similitudes entre lui et les peuples autochtones de la côte du Pacifique, qui travaillent aussi le bois. Voir Sarah Milroy (dir.), Dempsey Bob: In His Own Voice, Vancouver, Figure 1 Publishing, 2022, p. 139. [Trad. libre]
2 Ibid., p. 147.
3 Ibid., p. 149.
Le clan du loup : l’art de Dempsey Bob
18 mai – 10 septembre 2023
Crédits et commissariat
Une exposition organisée et mise en tournée par la Collection McMichael d’art canadien de Kleinburg (Ontario) et l’Audain Art Museum de Whistler (Colombie-Britannique). Le commissariat est assuré par Sarah Milroy, conservatrice en chef de la Collection McMichael d’art canadien, et Curtis Collins, directeur et conservateur en chef de l’Audain Art Museum. Iris Amizlev, conservatrice – Projets et engagement communautaires, MBAM, est responsable de la présentation montréalaise.
L’exposition est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) par Hydro-Québec. Le Musée souhaite remercier les donatrices et donateurs des Cercles philanthropiques de la Fondation du MBAM. Il reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, et de son partenaire média, La Presse.
Le clan du loup : l’art de Dempsey Bob a été réalisée en partie grâce au soutien financier du gouvernement du Québec, du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de Montréal. Le MBAM reconnaît également l’apport de PACART, transporteur exclusif de l’exposition.
Cette exposition itinérante est accompagnée d’une publication richement illustrée intitulée Dempsey Bob: In His Own Voice.