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23 mai 2023

La collection d’art québécois et canadien s’enrichit de quelques dessins éloquents (suite)

David Milne (1882-1953), Le bus de la Cinquième Avenue, New York (détail), vers 1911, gouache, encre et aquarelle (?) sur traits à la mine de plomb, 43,3 x 35,7 cm. MBAM, don de Roger Fournelle. Photo MBAM, Jean-François Brière

Durant les derniers mois, le Musée a acquis plusieurs dessins de divers artistes québécois et canadiens des XIXe et XXe siècles. En décembre 2022, nous vous présentions une partie de ces œuvres, signées Wyatt Eaton et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté. Aujourd’hui, ce sont des dessins d’Eric Goldberg, de Charles William Jefferys, de David Milne, de Louis Muhlstock et d’Ernst Neumann que nous vous proposons de découvrir.

Jacques Des Rochers. Photo Vincent Lafrance

Jacques Des Rochers

Conservateur principal de l’art québécois et canadien
Eric Goldberg : Autoportrait en violoniste

Né à Berlin en 1890, Eric Goldberg étudie à Paris de 1906 à 1910, d’abord à l’Académie Julian, où il fait la connaissance d’artistes canadiens, dont John Lyman, A.Y. Jackson et Randolph Hewton, puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts. En 1911, il entre à l’Académie de Berlin, sous la direction de Lovis Corinth qui l’aurait libéré de l’académisme de ses maîtres parisiens. Des années plus tard, en 1928, il vient s’installer à Montréal, où il épouse Regina Seiden, également peintre. Par la suite, Goldberg deviendra membre fondateur du Groupe de l’Est et de la Société d’art contemporain de Montréal.

Dans cet Autoportrait en violoniste, le personnage et son instrument marquent les limites de la feuille de papier qu’ils recouvrent. Une multitude de traits rapprochés et précis se chevauchent et s’entrecroisent. Ils constituent ainsi les volumes, créent des jeux d’ombre et de lumière, et confèrent un aspect dynamique à la figure, laissée, par contraste, sur un fond intact.

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Bien que caractéristique de la musique occidentale, le choix du sujet, un violoniste, dont Goldberg nous offre une rare et minutieuse représentation, fait également référence à la culture juive dont l’artiste est issu.

Ce dessin n’est pas daté. Cependant, compte tenu des changements qui se manifestent dans l’œuvre de Goldberg après son passage à l’Académie de Berlin, nous estimons qu’il a plutôt été réalisé pendant la formation de l’artiste à Paris, vers 1906-1910. Pour corroborer cette hypothèse, nous l’avons comparé à un autre de ses autoportraits qui a été créé vers 1911-1914 et qui reflète visiblement l’influence expressionniste de Corinth.

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Charles William Jefferys : Monteurs de lignes dans le nord de l’Ontario

Le métier de monteurs de lignes naît avec le déploiement du télégraphe au Canada, en 1846, puis se transpose à l’installation des lignes téléphoniques (1870) et électriques (1890). Il demande des qualités physiques exceptionnelles, car le montage des traverses de bois et des conducteurs, sur lesquels les fils sont accrochés, exige une bonne coordination et, surtout, une habileté à travailler en hauteur.

Pour réaliser ce dessin, Jefferys s’est probablement inspiré de photographies, et le rendu graphique des traits à l’encre témoigne de sa volonté d’en tirer une estampe. De fait, il s’agit ici du dessin préparatoire pour The Mines, 1900, qui illustre le mois de janvier dans le calendrier de la Toronto Art League en 1900. La critique du Globe écrit à son sujet : « Sa façon de représenter les mines est originale – les travailleurs sur les poteaux télégraphiques en avant-plan ouvrent la communication avec les mines isolées que l’on aperçoit dans la montagne au loin1. »

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Ce sujet sera repris par Jefferys en 1910 dans une aquarelle intitulée Linemen of New Ontario. C’est un titre similaire, Linemen in Northern Ontario [Monteurs de lignes dans le nord de l’Ontario] qui sera donné à notre dessin pour sa présentation à la British Empire Exhibition de Wembley, à Londres, en 1925, comme l’indique l’étiquette au dos de l’œuvre. La thématique des monteurs installant une ligne télégraphique dans un paysage montagneux correspond tout à fait à l’esprit de cet événement organisé dans le but de promouvoir l’Empire britannique et ses industries, et où le Canada essaie de se démarquer. L’année suivante, le dessin circulera dans trois autres musées de Grande-Bretagne.

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David Milne : Le bus de la Cinquième Avenue, New York

Ce dessin fait partie d’un ensemble remarquable réalisé par Milne dans le cadre de sa dernière période new-yorkaise, entre 1911 et le milieu de 1916, pendant laquelle l’artiste trouve son style. Quelques traits de mine sont ici apparents, mais la composition est constituée, pour l’essentiel, de taches et de traits de couleur juxtaposés, utilisés avec parcimonie, sur un papier dont la majorité de la surface a été laissée en réserve2. Tout est suggéré avec une grande simplicité, et plusieurs éléments sont figurés par les vides entre les formes colorées. Au premier plan, à gauche, on observe une silhouette féminine en pourpre et en brun. La rue n’est quant à elle qu’un trait au lavis de bleu dont on perçoit les dégoulinures. Quelques traits et taches d’ocre, de brun et de vert composent un autobus. À droite de l’image, la façade d’un édifice est traitée en réserve, tandis qu’à sa gauche, au niveau de l’« étage noble », se trouve vraisemblablement le mur d’un commerce, surmonté d’une enseigne ou d’un panneau couvert d’affiches.

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Milne s’intéresse ici au New York urbain et, plus particulièrement, aux panneaux-réclames (« billboards ») qui s’y trouvent. Des personnages commencent alors à figurer dans ses sujets. La nouvelle simplicité de son style, devenu caractéristique, est influencée par une première exposition de Cézanne en Amérique du Nord – 20 aquarelles présentées en mars 1911 à la galerie 291 d’Alfred Stieglitz. Milne est également redevable au peintre américain John Marin, à qui le critique Clement Greenberg le compare. Vers 1912, il réalise une peinture intitulée Gray Billboards3 inspirée de notre dessin. Parmi les changements apportés à cette seconde composition, l’ajout d’une autre enseigne, sous celle de 1911 qui est elle-même rehaussée, témoigne encore de son intérêt pour ce sujet. Les réserves cèdent quant à elles la place aux touches de peinture dans diverses tonalités de blanc.

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Louis Muhlstock : Le sans-abri

Ce portrait de trois quarts présente un homme d’âge mûr dont les traits sont creusés par une vie d’efforts. Dans un cadrage serré, ses épaules voûtées sont recouvertes d’un vêtement informe ou d’une couverture. Les pans essentiellement lisses de ce vêtement font écho à l’arrière-plan uniforme de la composition. Le front presque entièrement dégarni du personnage illumine la scène. Ce sont ses cheveux, en bordure de son crâne, et la pilosité de sa barbe, de sa moustache et de ses sourcils, qui marquent les contrastes. De fins traits noirs affirment les contours de son oreille droite, de son nez et de ses yeux. L’expression enjouée qui émane du regard de ce sans-abri est accentuée par le jeu des rides qui encerclent son visage. En 1925, lors de sa première exposition montréalaise, au Salon du printemps de l’Art Association of Montreal (AAM), aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal, Muhlstock présente deux dessins au fusain, dont le portrait d’un homme aveugle. Dix ans plus tard, d’autres portraits sont exposés parmi lesquels aurait pu figurer notre Sans-abri. Un critique du Montreal Star écrit alors : « Qu’on les considère comme de bonnes compositions ou des études de personnage, ces dessins sont tous dignes d’intérêt. La plupart représentent des têtes, mais certains seulement des visages […] Muhlstock est au sommet de son art lorsqu’il conjugue caractère et forme dans ses dessins4. »

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L’œuvre de Muhlstock est caractérisée par la récurrence de quelques thèmes emblématiques de la vie urbaine montréalaise. Lorsque l’artiste revient de Paris, en 1931, il constate que la crise économique a rendu plus miséreux l’environnement qu’il habite, rue Saint-Dominique, au cœur du quartier juif ouvrier de Montréal. Les sujets qui l’intéressent alors sont au diapason de l’engagement social des membres de cette communauté. En prenant pour modèles les sans-abri, les chômeurs, les ouvriers et les immigrés, et en nous offrant d’eux une représentation attentive et pleine de sensibilité, Muhlstock les élève au-dessus du banal et leur confère une rare noblesse. C’est une véritable chronique de la condition humaine qu’il livre ainsi à travers son œuvre, reprenant sans cesse le crayon pour un nouveau dessin, et rendant tout ce qui est touchant tangible. C’est ce qui transparaît dans le tableau intitulé Ruelle Leduc, Montréal, qui a fait l’objet d’une publication précédente dans le Webzine M et qui est actuellement exposé dans le pavillon d’art québécois et canadien Claire et Marc Bourgie.

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Ernst Neumann : Étude de tête (Max Neumann, père de l’artiste)

Ce portrait au fusain est réalisé en 1927. Ernst Neumann n’a alors que vingt ans et il est étudiant à l’école de l’AAM. Durant cette période, il suit également les cours d’Edwin Holgate, un maître du portrait et de l’estampe. Le dessin est exposé l’année suivante au 45e Salon du printemps de l’AAM, mais il n’est pas à vendre. L’artiste désirait probablement garder pour lui ce portrait de son père, Max Neumann. L’inscription de l’adresse au dos de l’œuvre (757, avenue Bloomfield, à Outremont) indique qu’Ernst Neumann habitait encore chez son père au moment de sa création. Les traits du personnage sont ici accusés et marqués par l’âge, les rides de ses joues sont bien visibles et son front est dégarni. L’homme semble plongé dans ses réflexions, les yeux mi-clos et le visage penché vers le bas.

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Tout au long de sa carrière, Neumann accordera une grande place à l’exercice du dessin dans sa pratique. Il privilégiera cependant l’art de l’estampe, qui contribuera à sa célébrité. Malgré l’importance qu’il attachait au portrait, ceux qu’il a produits demeurent peu connus et sont aujourd’hui mal répertoriés. Étude de tête (Max Neumann, père de l’artiste) témoigne pourtant avec brio du talent de dessinateur de l’artiste, et annonce la virtuosité et la sensibilité qui caractériseront ses estampes les plus connues. Quelques années après l’exécution de ce dessin, vers 1931-1932, Neumann réalisera d’ailleurs une gravure sur bois de bout intitulée Le père de l’artiste.

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1 Lynn C. Doyle, « Art Students’ League », The Globe (Toronto), 27 décembre 1899. [Trad. libre]

2 On nomme « réserves » les parties du dessin qui n’ont pas été recouvertes de matière picturale et qui laissent donc voir le papier brut.

3 David Milne Jr. et David P. Silcox, David B. Milne. Catalogue raisonné of the paintings, vol. 1, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 68, cat. 104.6 (pl. couleur 4).

4 « Drawings by Louis Muhlstock », The Montreal Star, 25 novembre 1935. [Trad. libre]

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