Le MBAM accueille une collection unique d’art sikh
INDE ou PAKISTAN, RÉGION DU PENDJAB, Janam Sakhi illustré, milieu du 19e s., gouache, encre à la poudre d’or, feuille d’or, encre. MBAM, Collection d’art sikh, Narinder Singh et Satinder Kaur Kapany – Sikh Foundation International (É.-U.). Photo MBAM, Christine Guest
Le 9 juin 2022 était inauguré au MBAM le premier espace dédié à l’art sikh dans un musée canadien, grâce à un don majeur de Narinder Singh Kapany et Satinder Kaur Kapany – Sikh Foundation International (É.-U.), de l’honorable Baljit Singh Chadha et de Roshi Chadha.
Laura Vigo
Sajdeep Soomal
Située au cœur de l’aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde, cette nouvelle galerie fait rayonner la culture de la communauté sikhe, partie intégrante du paysage nord-américain. Parmi les œuvres présentées, on trouve des portraits miniatures des dix gourous fondateurs du sikhisme, des vêtements et des objets militaires et rituels, des œuvres textiles, ainsi que du matériel d’archives datant de l’époque de l’Inde britannique qui éclaire certains aspects du mode de vie des sikhs depuis la fin du XIXe siècle.
Vue de la Collection d’art sikh, Narinder Singh et Satinder Kaur Kapany – Sikh Foundation International. Photo MBAM, Denis Farley
Le sikhisme a pris naissance au Pendjab à la fin du XVe siècle dans la littérature poétique du gourou Nanak, qui professait, comme le feront ses neuf successeurs, la croyance en un dieu unique, de même que l’unité et l’égalité de toute l’humanité. Leur enseignement, issu des traditions anti-caste du nord de l’Inde, s’enracine dans une éthique égalitaire et s’oppose farouchement à la pratique de l’intouchabilité, tout en permettant la transformation et la libération de la psyché par l’apprentissage (sikhi). Les hymnes des gourous et les textes religieux de plusieurs saints ont été compilés par le cinquième gourou, Arjan en 1604, qui en fit le texte sacré connu aujourd’hui sous le nom de Guru Granth Sahib.
Les neuf premiers gourous ne demandaient pas à leurs adeptes, qui venaient surtout des communautés marchandes et paysannes du Pendjab, de renoncer à leur foi première, hindouisme ou islam. Le syncrétisme s’opéra plutôt par le truchement du répertoire artistique et iconographique choisi par les guides religieux aux premiers temps de la culture visuelle sikhe, répertoire qui s’inspirait de traditions hindoues et musulmanes existantes. Quand on observe l’imagerie extraordinaire qui figure dans les pages du Janamsakhi (littéralement, « témoignages de naissance »), recueil d’hagiographies en prose sur Nanak, on ne peut manquer d’y reconnaître l’influence des anciennes traditions picturales rajpoute et moghole.
Ce n’est qu’en 1699 que le dixième gourou, Gobind Singh, fonde l’ordre de Khalsa, la première communauté sikhe entièrement dévouée au Gourou tel qu’il s’incarne dans le livre saint. Les sikhs khalsa étaient initiés en buvant de l’eau bénite, portaient tous le même patronyme, respectaient des pratiques d’ablutions quotidiennes et se vêtaient d’une tenue caractéristique. Leur identité s’est renforcée au cours du XVIIIe siècle, quand les communautés sikhes ont dû s’organiser pour se défendre des agressions mogholes et afghanes. Le Musée expose diverses pièces d’équipement militaire, notamment une arme en forme d’anneau (chakar), une épée (talwar) et une vaste collection de pièces d’argent, de cuivre et de bronze (nanakshahi) qui témoigne de l’expansion de la richesse et de l’influence des royaumes sikhs.
À mesure que le sikhisme consolide son pouvoir politique, ses dirigeants font faire de leur personne des portraits qui évoquent la peinture moghole. C’est dans ce contexte politique qu’émergent de nouvelles images du gourou Nanak mettant en valeur ses qualités de chef spirituel. Une peinture du début du XIXe siècle montre un portrait stylisé, de trois-quarts, du jeune Nanak arborant un turban soigneusement enroulé et une tenue toute blanche. L’œuvre communique son statut de précurseur d’une nouvelle généalogie de chefs spirituels sikhs.
Au début du XIXe siècle, sous la gouverne de Ranjit Singh, les aspirations des sikhs à la souveraineté provoquent l’expansion de leur règne et la prospérité de leur empire au Pendjab et au Rajasthan. Lahore, capitale cosmopolite, devient alors l’une des villes les plus riches d’Asie du Sud; c’est un lieu important pour le mécénat et certains des plus grands peintres des traditions rajpoute et moghole y sont établis. Grâce à eux, l’expression visuelle du sikhisme allait être transformée à jamais par l’émergence de thèmes toujours plus spécifiques dans les arts visuels. Une très belle peinture, actuellement exposée, illustre le prestige et la richesse du maharaja Karam Singh de Patiala. Vêtu de vert pâle, le maharaja est accompagné de son fils, en tenue orangée. Un saint homme est représenté au centre de la composition, flanqué d’autres témoins assis dans une position de déférence ou debout devant l’estrade.
Parmi les œuvres de la collection Kapany, une sélection de châles en coton aux couleurs riches, brodés de soie fine, animent l’espace de leurs motifs végétaux stylisés évoquant les champs de blé et de maïs des paysages familiers aux tisserandes. Nommés phulkari (ce qui signifie « œuvres florales »), ces vêtements, tissés la plupart du temps par les femmes hindoues, sikhes ou musulmanes du Pendjab rural, étaient portés ou offerts à l’occasion de fêtes religieuses ou d'événements marquants de la vie – mariage ou naissance, par exemple. Ils n’étaient pas destinés à la vente sur des marchés extérieurs.
Au XXe siècle, le sikhisme s’étant déjà bien implanté comme religion moderne, les aspirations ethnonationalistes des sikhs se sont développées dans le contexte du mouvement d’indépendance indien contre la domination britannique. Aujourd’hui, on compte environ 27 millions de sikhs dans le monde et si la majorité est concentrée dans le nord-ouest de l’Inde, près de la frontière avec le Pakistan, les sikhs forment d’importantes communautés au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis, ainsi que d’autres communautés plus modestes ailleurs dans le monde. Presque tous leurs membres ont des racines au Pendjab1.
Grâce au regretté Dr Narinder Singh Kapany et à son engagement, pendant plus d’un demi-siècle, envers le collectionnement et la promotion de l’art sikh2; grâce aussi à l’honorable Baljit Singh Chadha et à Roshi Chadha et à leur importante contribution à la création de cette nouvelle galerie, le Musée offre désormais un lieu dynamique d’échange et de dialogue, de compréhension, de respect et d’inclusion qui reflète les valeurs et l’apport culturel du peuple sikh.
De gauche à droite : Ameeta Chadha; Dilmohan Chadha; Laura Vigo, conservatrice de l’art asiatique, MBAM; Stéphane Aquin, directeur général, MBAM; Kiki Kapany, fille de Narinder Singh Kapany et Satinder Kaur Kapany; Sonia Dhami, directrice de la Sikh Foundation International; Roshi Chadha, grande mécène et instigatrice de ce projet inédit; Baljit Chadha, grand mécène et instigateurs de ce projet inédit et Danielle Champagne, directrice générale de la Fondation du MBAM. Photo Sébastien Roy
1 Khushwant Singh, « The Sikhs of the Punjab », dans Susan Stronge (dir.), The Arts of the Sikh Kingdoms, Londres : Victoria and Albert Museum, 1999, p. 13.
2 Paul Michael Taylor et Sonia Dhami, (dir.), introduction à Sikh Art from the Kapany Collection, Palo Alto : The Sikh Foundation International, 2017, p. 11-15.