根付 Les netsuke au bout des doigts Une nouvelle expérience numérique
Yoshida Sosai (1865-1944), netsuke : Tōbōsaku Sen’nin, vers 1900, ivoire, teinture, encre, laque, 5,4 x 2,6 x 2,5 cm. MBAM, achat, fonds Dr Stephen Fichman. Photo MBAM, Jean-François Brière
Au cœur de l’aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde se cache une collection de petits objets japonais aux détails fascinants. Ils tiennent dans la paume de la main, mais sont porteurs d’une riche histoire méconnue. Découvrez aujourd’hui les secrets qu’ils renferment grâce à l’expérience numérique 根付 Les netsuke au bout des doigts.
Laura Vigo
Lindsay Corbett
Lors de votre prochaine visite au Musée, munissez-vous de votre téléphone intelligent et de vos écouteurs pour (re)découvrir la collection de netsuke de façon stimulante et inattendue. Accessible via un code QR situé à côté des objets exposés, 根付 Les netsuke au bout des doigts recrée le plaisir perdu de l’exploration tactile tout en respectant l’interdiction de toucher les œuvres. Grâce à la modélisation 3D, elle nous permet de « manipuler » les objets et de les admirer de près, sous des angles qui échappent habituellement au regard. Son contenu audio nous transporte encore plus loin, à la découverte de l’histoire complexe et de la face cachée des netsuke.
La petite histoire des netsuke
Remontant à l’époque Edo (1615-1868), les netsuke sont des sculptures miniatures qui, suspendues à la ceinture du kimono des hommes, faisaient office d’accessoires vestimentaires. Au-delà de leur fonction utilitaire, ils servaient à transmettre, par leur symbolisme, leurs matériaux et leurs motifs particuliers, des informations telles que le statut social de leur propriétaire. À la reprise des échanges commerciaux entre le Japon et l’Occident, en 1853, la culture visuelle et matérielle japonaise a d’abord suscité la curiosité, puis un élan d’enthousiasme qui a gagné toute l’Europe et l’Amérique du Nord. Le japonisme était né. La petite taille et le faible coût des netsuke facilitaient leur commerce et leur circulation sur les marchés transnationaux, ce qui a donné lieu à leur collectionnement.
Aux yeux des premiers collectionneurs occidentaux, toute la culture japonaise était contenue dans ces petites pièces sculptées en ronde-bosse qui tiennent dans le creux de la main. Leurs dimensions réduites, leur ornementation complexe et leurs matériaux inusités étaient perçus comme autant de vestiges d’un Japon lointain.
La collection de netsuke du Musée
Le MBAM doit sa collection d’art asiatique à d’importants dons de particuliers effectués au cours de la première moitié du XXe siècle. Elle est donc le reflet d’une époque et des goûts d’une poignée de collectionneurs d’ici qui avaient un penchant pour les petits objets exotiques. Le Musée possède aussi une remarquable collection de netsuke qu’il doit en grande partie à un don du Dr Stephen Fichman. Le public peut admirer cet ensemble en personne, dans son aménagement permanent au sein des galeries d’art asiatique de l’aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde.
À propos de l’expérience numérique
L’expérience tactile qui a fait la popularité des netsuke est quasi impossible à reproduire dans un contexte muséal où les œuvres sont souvent hors de la portée du public. Mais elle est ici remplacée par une manipulation virtuelle. La modélisation 3D des netsuke a été rendue possible grâce à la photogrammétrie, une technique qui permet le calcul des dimensions et des volumes au moyen de la photographie. Du bout des doigts, on peut faire pivoter l’objet dans différents sens et effectuer un zoom avant afin de scruter d’infimes détails qui seraient autrement invisibles à l’œil nu. On a ainsi l’impression d’entrer en contact avec ces figurines et même de les « manipuler », ce qui nous permet de revivre, d’une certaine façon, l’émerveillement ressenti par les collectionneurs du XIXe siècle.
Deux modes d’exploration sont proposés : on peut simplement « jouer » avec les modèles 3D des netsuke, ou suivre une trame multimédia plus structurée qui retrace le parcours des différents netsuke présentés dans l’application, depuis leur fabrication dans le Japon d’Edo jusqu’à leur arrivée au Musée.
La mise en récit ne se résume pas à un compte rendu linéaire de l’évolution de cette production culturelle du point A au point B. Elle révèle des renseignements fascinants sur les signes sociaux, la matérialité, les influences culturelles, les modes de production, l’iconographie et les mythes entourant chaque netsuke. Les utilisateurs peuvent suivre les explications du début à la fin ou passer directement aux chapitres qui les intéressent.
Un outil pour décrypter des œuvres d’une grande complexité
Les netsuke puisent à même un réseau complexe de paradigmes culturels et artistiques. L’expérience numérique permet de mieux comprendre les multiples significations de ces objets, car elle intègre et met en relation différents contenus narratifs. On le constate notamment avec un netsuke représentant une carte du Japon, réalisé par Ichimuken Nanka, maître sculpteur de kabori (« pièces finement ciselées »). Nanka se spécialisait dans la production de netsuke de style manjū, reconnaissables à leur forme ronde et lisse. Il a créé plusieurs netsuke ornés d’illustrations comparables.
Avec la popularité croissante des voyages, en particulier le long de la fameuse route du Tokaido, les cartes étaient un sujet prisé à l’époque Edo. Celle de Nanka porte l’inscription « Carte authentique du grand Japon au royaume de Bouddha », évocation des liens étroits entre la spiritualité bouddhiste, le paysage et le voyage. Le netsuke de Nanka témoigne ainsi de traditions japonaises bien ancrées dans la cartographie et les pèlerinages religieux.
Mais il y a plus. Si l’on considère que les netsuke répondaient au désir des Occidentaux de s’approprier un petit bout du Japon, le netsuke de Nanka a sans doute été particulièrement recherché par les collectionneurs, à qui il permettait de tenir tout le pays dans leur main. Cette amorce de réflexion nous donne un aperçu du caractère multidimensionnel de ces petites sculptures qui soulèvent maintes questions sur le style, la matérialité, la technique, l’iconographie et la paternité des œuvres, sans oublier les voyages et les pèlerinages, le commerce transnational et les intérêts des collectionneurs.
Les musées commencent à penser les objets différemment et à adopter une approche sémiotique plus fluide et holistique, une visée que l’application sert admirablement. En plus de donner vie aux œuvres, elle permet au public de comprendre, de manière stimulante et accessible, comment le sens, la fonction et la valeur des objets culturels peuvent évoluer dans le temps, et de dénouer l’écheveau complexe des netsuke.
Crédits et remerciements
根付 Les netsuke au bout des doigts a été cocréée et codéveloppée par La Maison Jaune Laboratoire d’Innovation et le Musée des beaux-arts de Montréal. Cette initiative numérique a été rendue possible grâce au soutien financier du gouvernement du Québec et de Tourisme Montréal. Le Musée remercie le Dr Stephen Fichman pour son engagement, ainsi que les donateurs qui ont répondu à son appel à la générosité.