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18 juillet 2023

Redécouverte : la grande histoire d’un petit vase chinois

Dynastie des Qing (1644-1911), règne de Kangxi (1662-1722), CHINE, PROVINCE DU JIANGXI, JINGDEZHEN, vase (détail), entre 1680 et 1722, porcelaine, glaçure peau de pêche, 16 cm (haut.) ; 4,9 cm (diam.). MBAM, don de Mme Charles F. Martin. Photo MBAM, Jean-François Brière

Les réserves d’un musée peuvent contenir des trouvailles inattendues. Lorsque nous avons découvert au fond d’une armoire un petit récipient d’un beau rouge rosé, nous étions loin de nous douter que nous avions là un superbe vase Guanyin à glaçure peau de pêche du règne de Kangxi (1662-1722), au début de la dynastie des Qing (1644-1911).

Laura Vigo. Photo SPG / Le Pigeon

Laura Vigo

Conservatrice de l’art asiatique

Ruiqi Gu

Stagiaire au MBAM et finissant du programme d’histoire de l’art de l’Université Concordia

La glaçure peau de pêche est la plus exquise de toutes les glaçures rouge de cuivre qui ont été produites sous le règne de l’empereur Kangxi. Cette teinte incomparable ne couvre que huit types de porcelaines destinées au nécessaire d’écriture des lettrés de la maison impériale. Les spécialistes leur accorderont plus tard le nom de ba da ma (八大码), ce qui signifie les « huit grands ». Portant les six caractères du sceau de Kangxi à leur base, ces objets comptent un vase orné d’un dragon enroulé (panlong ping, 蟠龙瓶), un vase à col annelé (laifu ping, 莱菔瓶), un vase à pétales de lotus (heban ping, 荷瓣瓶), un vase Guanyin (Guanyin ping, 观音瓶), un pot à eau (taibai zun, 太白尊), un vase en forme de pomme (pingguo zun, 苹果尊), un rince-pinceaux en forme de gong (tangluo xi, 镗啰洗) et un boîtier pour pâte à sceau (yinni he, 印泥盒)1.

Avec ses mouchetures grenat et son pied délicat, le vase fuselé du MBAM est de type Guanyin, l’un des huit réservés à la maison impériale. Sa forme oblongue évoque la coupe de libation tenue par Guanyin (观音), bodhisattva de la compassion. On le désigne également sous le nom de « vase en feuille de saule » (liuye ping, 柳叶瓶) en référence à la branche de saule que Guanyin tient à la main dans une de ses manifestations (柳叶观音).

Ce n’est que sur une période de quarante-deux ans (1680-1722) que les « huit grands » à glaçure peau de pêche sont produits dans les fabriques impériales de Jingdezhen (Jiangxi), d’abord sous la supervision de Zang Yingxuan et de son dessinateur, Liu Yuan2. À l’époque, ces glaçures rouge de cuivre cuites à haute température sont réputées pour être difficiles à réaliser, l’oxyde de cuivre étant un pigment capricieux qui exige plusieurs cuissons et applications successives. Dans un premier temps, une fine glaçure est appliquée sur le biscuit de porcelaine. Le pigment est ensuite pulvérisé à travers un tube de bambou tapissé d’une fine gaze, puis la surface est recouverte d’une couche de glaçure translucide3. Les vases à glaçure peau de pêche sont la quintessence des porcelaines monochromes du règne de Kangxi et présentent de subtiles variations de couleur pouvant aller des gris foncés aux rouge pomme, en passant par des rose pêche d’un bel éclat lumineux.

Dynastie des Qing (1644-1911), règne de Kangxi (1662-1722), CHINE, PROVINCE DU JIANGXI, JINGDEZHEN, vase, entre 1680 et 1722, porcelaine, glaçure peau de pêche, 16 cm (haut.) ; 4,9 cm (diam.). MBAM, don de Mme Charles F. Martin. Photo MBAM, Jean-François Brière

Le vase du MBAM est doté d’un long pied qui a été laissé sans glaçure pour pouvoir convenir à un support en bois4. Tout comme les quelques autres vases ba da ma découverts dans le monde, il montre peu de signes d’usure. Davantage qu’un simple objet pratique, il était probablement considéré comme une œuvre d’art à part entière, destinée à mettre en valeur l’un des bureaux de la cour impériale.

Ce vase a été offert en don au Musée en 1944 par l’épouse de feu Charles F. Martin, ancien recteur de l’Université McGill, et directeur de l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le MBAM) de 1938 à 1947. Il appartenait à la collection de l’artiste canadien G. L. Lamartine, à qui les Martin l’avaient échangé contre des objets de leur collection. Après avoir gagné le marché nord-américain vers la fin du XIXe siècle, les vases comme celui-ci se vendaient à des prix astronomiques. Encore aujourd’hui, ils comptent parmi les pièces de porcelaine Ming et Qing les plus dispendieuses dans les ventes aux enchères5. On en trouve des exemplaires semblables dans les collections du Palace Museum (Beijing), du Shanghai Museum, du Metropolitan Museum of Art (New York), du National Palace Museum (Taipei), du British Museum (Londres) et de la collection Baur (Genève).

Notre petit, mais précieux vase Guanyin sera bientôt exposé dans l’une des salles de l’aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde.

1 Ralph M. Chait, « The Eight Prescribed Peachbloom Shapes Bearing Kang-hsi Marks », Oriental Art, vol. 3, hiver 1957, p. 130-131.

2 Peter Y. K. Lam (dir.), A Millennium of Monochromes: From the Great Tang to the High Qing, The Baur and the Zhuyuetang Collections, Milan, 5 Continents Editions, 2019.

3 Ibid., p. 146.

4 Ralph M. Chait, op. cit., p. 139.

5 Hiram Woodward, « Seventeenth Century Chinese Porcelain in Various Worlds », The Journal of the Walters Art Museum, vol. 70-71, 2012-2013, p. 25-38.

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