(Re)découvrir Marisol, icône incontournable du pop art
Marisol (1930-2016), Femmes et chien, 1963-1964, bois, plâtre, polymère synthétique, tête de chien naturalisée, 186,8 x 194,6 x 67,9 cm. New York, Whitney Museum of American Art; purchase, with funds from the Friends of the Whitney Museum of American Art, 64.17a-i. © Estate of Marisol / Artists Rights Society (ARS), New York. Digital image © Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala / Art Resource, NY
Organisée par le Buffalo AKG Art Museum, la grande exposition présentée cet automne au MBAM est la plus exhaustive jamais consacrée à l’artiste visionnaire Marisol (1930-2016). À l’affiche du 7 octobre 2023 au 21 janvier 2024, Marisol : une rétrospective réunit plus de 250 œuvres et documents – de ses impressionnantes sculptures en bois à ses dessins et aquarelles – qui témoignent de la richesse de son parcours artistique unique au fil des décennies.
Née à Paris dans une famille vénézuélienne sous le nom de María Sol Escobar, Marisol a passé son enfance entre la France, le Venezuela et les États-Unis. Dès son plus jeune âge, elle s’est initiée au dessin et a visité des musées avec ses parents. Sa formation artistique, aussi éclectique que son œuvre, s’est amorcée à l’École des Beaux-Arts de Paris, puis s’est poursuivie à New York en 1950, notamment à l’Art Students League.
Artiste influente, engagée et audacieuse, Marisol est devenue internationalement célèbre au milieu des années 1960, avant d’être partiellement éclipsée du canon de l’histoire de l’art. Même si elle a été associée au mouvement pop, elle a développé un style résolument personnel, né d’un mélange d’influences artistiques – art précolombien, art populaire d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud, surréalisme, expressionnisme et dada – que les critiques ont eu du mal à circonscrire.
Maintes fois décrite comme une observatrice de son époque, Marisol s’est inspirée à la fois de la haute culture et de la culture populaire, en puisant dans l’imagerie du cinéma, du théâtre, de la musique, de la politique et du monde de l’art. Cette hybridité d’influences et d’inspirations trouve écho dans les techniques et les matériaux qu’elle a utilisés, de même que dans les sujets qu’elle a abordés dans ses œuvres.
Au fil d’un parcours chronologique et thématique, cette exposition permet de redécouvrir la production complexe et emblématique de cette artiste singulière, et de lui donner la place qui lui revient. Elle rassemble ses sculptures les plus célèbres et d’autres qui ont rarement été exposées, mais aussi des dessins, des estampes, des photographies et des documents d’archives. Les nombreux thèmes explorés par Marisol au cours de sa carrière ont transcendé son époque. Cette rétrospective met en lumière l’acuité avec laquelle elle a traité de sujets toujours pertinents aujourd’hui, des préoccupations environnementales à la représentation des femmes, en passant par les questions de genre et de justice sociale.
Expérimentations plastiques
L’exposition s’ouvre sur les années 1950, époque où Marisol s’installe à New York pour poursuivre sa formation artistique. C’est là qu’elle amorce ses explorations sculpturales, créant des reliefs en bois, des sculptures en terre cuite ou en pierre et des moulages de plâtre. Les œuvres montrées dans cette première salle témoignent de l’intérêt de l’artiste pour la sculpture précolombienne et pour l’œuvre d’Auguste Rodin, tandis que ses grandes pièces en bois représentant des chats ou des familles évoquent sa rencontre avec l’art populaire américain.
Très rapidement, l’artiste capte l’attention de Leo Castelli, célèbre galeriste new-yorkais, qui l’invite à présenter ses sculptures dans sa galerie nouvellement inaugurée. Elle y exposera ses œuvres tout comme certains de ses contemporains de renommée internationale, notamment Morris Louis, Alfred Leslie, Robert Rauschenberg et Jasper Johns. Toutefois, alors qu’elle commence tout juste à se faire remarquer par la critique, elle décide de quitter les États-Unis et de partir pour Rome en 1958. Il s’agit d’un des nombreux exils que Marisol, accablée par l’étouffant monde de l’art new-yorkais, s’imposera au fil de sa carrière.
Formes et identités en mutation
À son retour à New York en 1960, Marisol donne à ses œuvres un aspect radicalement différent. Elle se met alors à la réalisation de sculptures et d’assemblages de grande taille. Dès 1962, elle présente à la Stable Gallery de New York des sculptures qui mêlent dessin et taille du bois, moulages de corps (souvent faits à partir du sien) et objets trouvés. À travers ces œuvres étonnantes, l’artiste aborde des thèmes d’actualité, notamment le rôle des femmes dans la société, les normes propres au genre, la sexualité et la guerre froide. Elle se fait connaître par son style percutant, mais aussi par la place qu’elle occupe dans le monde de l’art new-yorkais. Au milieu des années 1960, des milliers de personnes se pressent pour visiter ses expositions : Marisol devient une célébrité.
C’est également à cette époque que ses réflexions sur la société la mènent à un travail plus introspectif. Elle intègre dans ses sculptures en bois des moulages de son visage et de ses membres : fragments qui lui permettent d’incarner ses sujets, mais aussi de se questionner sur sa propre identité, alors qu’elle tente de réconcilier son image médiatique et la perception qu’elle a d’elle-même.
Marisol (1930-2016), La fête, 1965-1966. Toledo Museum of Art, Museum Purchase Fund, by exchange, 2005,42A-P. © Estate of Marisol / Artists Rights Society (ARS), New York
Bien qu’elles soient liées à son expérience personnelle, les sculptures de Marisol commentent et critiquent également la société dans laquelle elle vit. Les œuvres qui se trouvent dans cette troisième salle offrent un bel exemple de la façon dont elle a renversé les codes établis de la féminité grâce à son sens de l’humour singulier.
Sous l’eau
Le parcours de l’exposition se poursuit avec une production plus engagée, dans laquelle Marisol aborde de front des thèmes tels que l’écologie, la politique, le féminisme, les iniquités, la pauvreté et le racisme. À la fin des années 1960, bouleversée par l’implication des États-Unis dans la guerre du Vietnam et par de nombreux épisodes de répression policière, elle entreprend un périple qui la mène en Inde, au Népal, au Cambodge, au Sri Lanka et en Thaïlande. Elle se rend aussi à Tahiti, où elle s’initie à la plongée sous-marine, activité qui deviendra pour elle une véritable passion. Au cours de ses nombreuses excursions subaquatiques, elle réalise des photographies et des vidéos afin de capter la beauté de cet univers méconnu.
Les sculptures et aquarelles présentées ici ont été créées au retour de l’artiste en sol américain, au début des années 1970. Fruit d’une exploration des liens qui unissent humains et animaux, elles témoignent de la fascination de Marisol pour le monde sous-marin qu’elle vient de découvrir.
À New York, c’est un monde de l’art différent qui s’ouvre à elle, où les collaborations entre artistes de tous horizons sont devenues monnaie courante. Elle élargit alors sa pratique artistique en concevant des décors, des accessoires et des costumes pour certaines des plus éminentes compagnies de danse américaines, dont celles de Louis Falco et de Martha Graham.
Dédoublements troubles
Tout au long de sa carrière, Marisol n’a jamais cessé de s’intéresser à la condition féminine et de bousculer les idées reçues au sujet du genre et de la féminité. À partir des années 1970, elle aborde la notion de violence dans ses œuvres. Les grands dessins qu’elle réalise à partir de 1975 revisitent les thèmes de la sexualité, du genre et de la réification du corps des femmes. Ces impressionnantes compositions intègrent des tracés corporels, des fragments de textes personnels et de conversations, ou encore des représentations d’objets et de scènes de nature violente. En parallèle, l’artiste continue de créer des moulages. En réalisant des empreintes de son visage, de ses mains, de ses fesses et d’autres parties de son corps, elle explore également la dimension érotique du corps humain.
L’art du portrait, de l’intime au politique
L’exposition se conclut sur les portraits sculptés de Marisol qui, à partir des années 1970, oscillent entre le personnel et le politique, le satirique et le sensible. C’est alors qu’elle poursuit le travail entamé dix ans plus tôt en réalisant des portraits de personnages politiques contemporains, développant par le fait même sa pratique en art public. Dans ses monuments, dont plusieurs sont destinés à des sites au Venezuela, l’artiste représente de grandes figures historiques. Vers la fin des années 1970, elle entreprend une nouvelle série de portraits d’artistes et d’écrivains vieillissants, dont Pablo Picasso et Georgia O’Keeffe, qui ont tous deux joué un rôle important dans son évolution artistique.
Le dernier corpus majeur de Marisol est une série d’œuvres mettant en lumière la dépossession et la marginalisation de groupes sociaux dans l’ère postcoloniale. En effet, à partir des années 1980, la pauvreté et la faim deviennent des thèmes centraux dans son travail. Dans ces œuvres à forte connotation sociale, elle cherche à dénoncer les injustices et à montrer la dignité des personnes vulnérables.
L’exposition Marisol : une rétrospective vise à faire apprécier à sa juste valeur cette grande artiste qui, par ses réflexions intemporelles et sa production aussi riche que particulière, aura marqué son époque et trouvé un écho dans la nôtre.
Marisol : une rétrospective
7 octobre 2023 – 21 janvier 2024
Crédits et remerciements
Une exposition organisée par le Buffalo AKG Art Museum et financée par une subvention majeure de la Henry Luce Foundation. Le travail critique autour de cette exposition et de cette collection a été réalisé en partie grâce à une importante subvention de la National Endowment for the Humanities. Le commissariat est assuré par Cathleen Chaffee, conservatrice en chef Charles Balbach du Buffalo AKG Art Museum. Mary-Dailey Desmarais, conservatrice en chef du MBAM, est responsable de la présentation montréalaise, en collaboration avec Alexandrine Théorêt, conservatrice adjointe de l’art moderne et contemporain international au MBAM.
Le MBAM souligne la collaboration de son partenaire Hatch et l’appui du réseau FRAME (FRench American Museum Exchange), qui a contribué au financement du catalogue de l’exposition. Il reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, ainsi que celui de ses partenaires médias, Bell, La Presse et Montreal Gazette.
Marisol : une rétrospective a été réalisée en partie grâce au soutien financier du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts de Montréal et du gouvernement du Québec.
Les grandes expositions du Musée bénéficient de l’appui financier du fonds Paul G. Desmarais. Le MBAM souhaite également remercier les donatrices et donateurs des Cercles philanthropiques de sa Fondation pour leur généreux soutien.