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30 janvier 2024

Un dialogue saisissant inspiré par la nature

Georgia O’Keeffe (1887-1986), Arisème petit-prêcheur III, 1930, huile sur toile, 101,6 x 76,2 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C., Alfred Stieglitz Collection, bequest of Georgia O’Keeffe. © Board of Trustees, National Gallery of Art, Washington | Henry Moore (1898-1986), Modèle de travail pour « Forme interne/externe dressée », 1951, bronze, 68 x 25,3 x 30 cm. Much Hadham (Angleterre), The Henry Moore Foundation, gift of Irina Moore, 1977. Reproduit avec l’autorisation de la Henry Moore Foundation

À l’affiche au MBAM du 10 février au 2 juin 2024, l’exposition Georgia O’Keeffe et Henry Moore : géants de l’art moderne est la première à tracer des parallèles fascinants entre ces deux figures incontournables de l’art moderne et à montrer leurs œuvres côte à côte. Organisée par le San Diego Museum of Art en collaboration avec le MBAM, elle présente plus de 120 œuvres qui témoignent de l’intérêt de ces artistes pour les formes naturelles et comprend une reconstitution de leur atelier respectif.

Iris Amizlev. Photo MBAM, Christine Guest

Iris Amizlev

Conservatrice des projets spéciaux

Il est absolument remarquable que deux personnes ayant vécu de part et d’autre de l’Atlantique à la même époque, que deux artistes qui ne se connaissaient pas1 et qui n’appartenaient à aucun mouvement particulier, aient eu un parcours aussi similaire dans leur vie comme dans leur art. Georgia O’Keeffe (1887-1986) est née sur une ferme laitière du Wisconsin, deuxième de sept enfants, tandis que Henry Moore (1898-1986) est né dans la petite ville minière de Castleford, au Royaume-Uni, septième de huit enfants. L’une et l’autre ont su très tôt qu’ils voulaient être artistes et ont fait leurs études dans des établissements réputés2. L’une et l’autre ont enseigné et ont croisé le chemin de personnes créatives qui ont influencé leur carrière. D’ailleurs, le mariage d’O’Keeffe avec le photographe et galeriste américain Alfred Stieglitz s’est avéré déterminant sur ce point.

Profondément inspirés par les objets qu’ils trouvaient dans la nature, O’Keeffe et Moore ont tous deux fini par s’établir à la campagne. L’amour qu’éprouvait O’Keeffe pour le désert est un aspect fondamental de sa production artistique. Pendant qu’elle vivait à New York, elle a effectué de nombreux séjours au Nouveau-Mexique, où elle a acheté deux demeures dans les années 1940 : une à Ghost Ranch et une à Abiquiú. Elle s’y est installée définitivement en 1949 après le décès de Stieglitz.

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En 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage en Europe, Moore s’est pour sa part établi à Perry Green, un petit hameau du Hertfordshire, après que sa maison et son atelier de Londres aient été bombardés. Il a aménagé sur le domaine appelé Hoglands six ateliers offrant des conditions idéales à la création. Ceux-ci ont contribué à l’abondance de sa production artistique, dont de nombreux exemples agrémentent les espaces publics du monde entier.

O’Keeffe et Moore ont tous deux reçu une formation classique. Ils ont toutefois souvent délaissé la figuration au profit de l’abstraction dans leur travail, passant d’un mode de représentation à l’autre avec aisance ou allant jusqu’à les combiner. Même s’ils se spécialisaient dans des techniques différentes, ils étaient attirés par des sujets semblables, qui faisaient l’objet d’expérimentations formelles analogues. Ils ont ainsi produit des œuvres d’art comparables, en deux et trois dimensions respectivement. Le plus étonnant, cependant, c’est qu’il n’y ait jamais eu entre eux d’échanges qui puissent expliquer les intérêts, habitudes et activités artistiques qu’ils avaient en commun. Unis par des liens intangibles qui transcendaient le temps et l’espace, ils ont suivi des trajectoires similaires, mais parallèles.

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O’Keeffe et Moore ont chacun légué à la fin de leur vie une production au style si raffiné qu’elle était singulièrement reconnaissable. Ils se sont tous deux éteints en 1986, après être devenus des artistes de renommée internationale et avoir laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’art moderne.

L’exposition, organisée par thèmes, met en relief les similitudes frappantes de leur méthodologie, de leur vocabulaire formel et de leur iconographie.

Le réel et le surréel

L’exposition s’ouvre sur des œuvres datant du début de la carrière des artistes, époque où ils expérimentaient le surréalisme. Bien que ni l’une ni l’autre n’aient fait partie de ce mouvement ou adhéré à ses principes, O’Keeffe et Moore ont exploré les concepts et les procédés formels du genre dans leur travail, et ce dernier exposait régulièrement avec le groupe. O’Keeffe, par exemple, faisait appel à des formes biomorphiques et à une imagerie onirique, tandis que Moore dessinait des formes naturelles se transformant en figures humaines. Les deux artistes juxtaposaient des objets sans lien entre eux et jouaient avec les échelles.

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Les ateliers

Un des attraits de l’exposition est la reconstitution de l’atelier de Ghost Ranch d’O’Keeffe et de l’atelier de maquettes Bourne de Moore. Comprenant des meubles et objets originaux ainsi que des répliques, elle permet de poser un regard intime sur les installations qui ont nourri le génie créatif de ces artistes3. Les volumineuses collections d’os d’animaux, de coquillages, de pierres, de bois de grève et d’autres objets trouvés témoignent de leurs sources d’inspiration. De plus, l’inclusion des pastels, peintures et pinceaux d’O’Keeffe, d’une part, et des plâtres et outils de Moore, d’autre part, met en lumière des aspects particuliers du processus de création et des techniques de chacun d’eux.

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Les os

Étonnamment, O’Keeffe et Moore observaient tous les deux le paysage à travers les cavités des os afin de cadrer leur environnement. Cet exercice a donné lieu à des œuvres renfermant à la fois des espaces vides et des espaces pleins. Dans son travail, Moore levait os, silex et petites maquettes au ciel pour les imaginer en différentes tailles et envisager leur agrandissement en sculptures. Pour O’Keeffe, ce même exercice servait à embrasser l’étendue infinie du désert et à attirer l’attention sur des détails du paysage. Ainsi, la surface poreuse, les formes biomorphiques et les cavités dans Figure allongée : os de Moore ne sont pas sans rappeler les peintures d’O’Keeffe mettant en scène un os agrandi qui, dominant tout un plan de la composition, fait office de fenêtre à travers laquelle nous sommes invités à scruter l’horizon.

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Si les os représentent habituellement la mort, pour O’Keeffe et Moore, ils symbolisent plutôt la force et la régénération. Ainsi, les peintures dans lesquelles O’Keeffe combine des crânes et des fleurs pourraient être vues comme des memento mori évoquant le caractère fragile et éphémère de l’existence. Mais ces juxtapositions surréalistes pourraient tout autant symboliser le cycle de la vie. L’artiste fait ressortir l’éclat, la couleur et la texture des os en les montrant à côté de fleurs épanouies4.

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Les pierres

O’Keeffe et Moore s’inspiraient aussi d’une variété de roches allant des galets au silex, en passant par les cailloux de rivière et les pierres ferrugineuses. Alors qu’O’Keeffe aimait les superposer et en examiner la surface texturée et les tons, Moore s’intéressait plus particulièrement à l’imbrication de leurs formes et à leur patine. Ils infusaient tous deux de la vitalité à ces objets inanimés dans leurs créations. En plus de collectionner les pierres, ils étaient fascinés par les sites archéologiques, qu’ils illustraient dans leur art. Moore était notamment impressionné par les mégalithes de Stonehenge, dans le Wiltshire, qu’il considérait à la fois comme de la sculpture et de l’architecture et qui l’ont incité à produire des œuvres à grande échelle.

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Les coquillages, les fleurs et les formes internes/externes

O’Keeffe et Moore s’intéressaient aux structures faites de formes qui en abritent d’autres. Ils les examinaient de près pour percer leurs secrets et révéler leur fragile contenu. Les recherches d’O’Keeffe sur le sujet lui ont inspiré ses plans rapprochés de fleurs et de coquillages. De même, Moore, dans ses représentations de mères à l’enfant, ses figures allongées et ses sculptures de casques, de plantes et de coquillages, expérimentait le concept des formes imbriquées.

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Incidemment, le fait de présenter les emblématiques fleurs d’O’Keeffe aux côtés des œuvres de Moore vient dissiper les connotations sexuelles qu’on leur prête si souvent et que l’artiste rejetait catégoriquement. O’Keeffe soutenait qu’elle peignait les fleurs dans leurs détails les plus intimes – un seul sujet occupant toute la surface picturale – afin que les gens puissent voir ce qu’elle-même y voyait. Elle avait appris à recadrer et à focaliser la composition sur les aspects essentiels de ses sujets auprès des photographes qu’elle connaissait. Son penchant pour les plans rapprochés lui venait peut-être aussi d’un désir de capter et de rendre dans ses œuvres l’immensité du désert.

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Paysages de formes

Outre les formes internes/externes, O’Keeffe et Moore s’attachaient à étudier les formes plus vastes du paysage. L’exposition culmine avec leurs diverses représentations de celui-ci. Ayant grandi dans des régions rurales, les deux artistes ont entretenu une relation étroite avec la nature tout au long de leur vie. Il est toutefois intéressant de noter le contraste frappant entre leurs environnements respectifs. Le domaine Hoglands de Moore comprenait un bois, un verger et de riches pâturages, tandis que les demeures d’O’Keeffe à Ghost Ranch et à Abiquiú étaient entourées de vastes territoires désertiques, de falaises et du mont Pedernal. O’Keeffe adorait ce qu’elle appelait la « grandeur » de ces étendues, tandis que Moore appréciait l’échelle humaine – bien qu’immense et vallonneuse – de son décor extérieur.

Georgia O’Keeffe (1887-1986), Le mont Pedernal, 1941, huile sur toile, 48,3 x 76,8 cm. Santa Fe (Nouveau-Mexique), Georgia O’Keeffe Museum, gift of The Georgia O’Keeffe Foundation. © Georgia O'Keeffe Museum / Artists Rights Society (ARS), New York / CARCC Ottawa 2024

Les deux artistes anthropomorphisaient le paysage. En effet, les représentations d’O’Keeffe font penser à des figures humaines, avec une lumière et des couleurs changeantes qui évoquent le passage du temps sur la terre et ses éléments. Moore, pour sa part, créait des figures qui se muaient en paysages et rappelaient des falaises, des montagnes, des branches ou d’autres formations. Dans un cas comme dans l’autre, l’utilisation de l’espace négatif était à la base de ces compositions.

Henry Moore (1898-1986), Figure allongée, 1959-1964, orme, 114,5 x 261,5 x 91 cm. Much Hadham (Angleterre), The Henry Moore Foundation, gift of Irina Moore. Reproduit avec l’autorisation de la Henry Moore Foundation. Photo Jonty Wilde

Par la présentation d’œuvres emblématiques d’O’Keeffe et de Moore et la reconstitution de leurs ateliers, cette exposition souligne l’intérêt des deux artistes pour les formes naturelles et établit des liens inédits entre eux. O’Keeffe et Moore ont exercé une influence fondamentale sur le développement de l’art moderne. Leurs œuvres trouvent un écho puissant dans le monde d’aujourd’hui en illustrant le caractère inné de notre relation avec la nature et en nous invitant à vivre en harmonie avec elle.

Georgia O’Keeffe et Henry Moore : géants de l’art moderne
10 février – 2 juin 2024

Une exposition organisée par le San Diego Museum of Art, en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal. Le commissariat est assuré par Anita Feldman, directrice adjointe de la conservation, San Diego Museum of Art. Iris Amizlev, conservatrice – Projets et engagement communautaires, est responsable de la présentation montréalaise.

L’exposition est présentée au MBAM par Hydro-Québec, avec le soutien du gouvernement du Canada et de Tourisme Montréal. Le Musée reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, ainsi que celui de ses partenaires médias, Bell, La Presse et The Gazette.

L’exposition a été réalisée en partie grâce à la participation financière du Conseil des arts du Canada, du Conseil des arts de Montréal et du gouvernement du Québec.

Les grandes expositions du Musée bénéficient de l’appui financier du fonds Paul G. Desmarais. Le MBAM souhaite également remercier les donatrices et donateurs des Cercles philanthropiques de sa Fondation pour leur généreux soutien.

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