Tout au long de sa vie, le peintre et sculpteur Alberto Giacometti prend pour modèles, avec une récurrence obstinée, ceux qui partagent son intimité. Profondément attaché à sa mère, il échange avec elle une longue correspondance et retourne la visiter régulièrement. « Elle personnifie la présence et la permanence de ce feu profond qui soutient l’œuvre et l’existence du sculpteur », écrit le poète Jacques Dupin. Le hiératisme de sa personnalité s’accorde absolument avec le style des portraits de Giacometti – à toujours vouloir rendre des traits qui sans cesse semblent lui échapper, dans sa quête d’une impossible ressemblance. Pendant qu’elle est assise sur une chaise placée au millimètre près, l’artiste exige d’elle une immobilité absolue. C’est ainsi que les images de sa mère défilent tels des blocs, en pied ou en buste, le regard fixe et la tête droite, encagée dans un réseau de lignes, au rythme des saisons de la vieillesse. Pour ceux qui l’ont approchée, il émanait de cette femme la solidité d’un roc.